« Mon travail consiste à révéler ce que peut être une « belle » forme, de transmettre à celui qui la regarde sérénité et douceur »

                                                                                                                                                                  Nathanaël Le Berre

 

 

Une vie de création n’est pas un chemin sans aspérités. C’est une route longue et sinueuse, jalonnée d’étapes fondatrices, de rencontres qui orientent ou réorientent le parcours, d’errements, voire d’égarements. Mais c’est aussi un formidable voyage intérieur, qui se nourrit sans cesse et nous emmène vers des contrées qu’on n’aurait imaginées…

Le voyage créatif de Nathanaël Le Berre puise sans doute ses racines aux premières heures de l’enfance. Entouré d’un grand-père calligraphe et passionné d’icônes, d’un père amateur d’artisanat et surtout d’une mère qui formera son goût pour les arts et notamment le dessin, la voie artistique semblait appeler le jeune Nathanaël. Son apprentissage à l’ENSAAMA, la découverte du métal et son façonnage, les rencontres avec des acteurs du monde artistique, l’orientent vers la dinanderie qu’il utilise depuis comme un bagage à la fois culturel et technique. Sa démarche artistique puise dans un registre à la fois cosmique, organique, mais également pragmatique, proche du mouvement Functional Art.

 

L’inspiration

 

Le travail de Nathanaël Le Berre exprime la pluralité d’inspirations de l’artiste, depuis les formes les plus essentielles de la nature à celles, plus complexes, du corps humain. Mais il n’est pas faux d’entrevoir dans certaines œuvres une emprise presque surnaturelle ou mystique. Elle est l’héritage d’une éducation et d’un environnement familial où la religion, sans être omniprésente, avait sa place, mais dont l’artiste a su se défaire au fil des années.

À l’opposé des formes organiques et presque hypnotiques d’œuvres comme « L’Infini », « Méïose » ou « Le Souffle », qui invitent le spectateur à plonger et se perdre dans leurs méandres, Nathanaël Le Berre propose également des créations qui puisent dans le registre plus formel et fonctionnel, s’inspirant du mobilier Art déco et des œuvres du début du siècle, comme ses appliques « Maïa » » et sa console « La vague d’encre ». « Mon travail repose sur un triptyque entre un matériau, une technique et une grammaire de formes développées au fil du temps par l’observation de ce qui m’entoure, explique-t-il. J’aime partir de formes connues, communes, pour les faire évoluer, les emmener vers mon univers personnel. Les rencontres avec des décorateurs et galeristes m’ont aussi poussé ces dernières années, à m’orienter vers d’autres champs d’investigation, vers des créations plus fonctionnelles, en réinterprétant mobilier et luminaires ».

La conception en volume

 

Dans sa phase de conception, chaque pièce fait l’objet d’une étude tridimensionnelle : dessin 3D développé grâce à un logiciel, ou création d’un modèle à très petite échelle en béton cellulaire. Pourquoi ces outils plutôt que le dessin traditionnel ? « Le dessin est possible pour certaines pièces, il peut être une étape préparatoire, mais j’éprouve une certaine méfiance vis-à-vis de lui car il impose une vision trop plane des choses, et me conduit à répéter les mêmes formes. Pour créer, il me faut aller au delà, laisser parler une impulsion presque inconsciente. En choisissant une matière à modeler comme le béton cellulaire, je visualise mes pièces en trois dimensions, je peux les faire tourner dans mon esprit comme dans mes mains avant de les inscrire dans le métal. Je suis un peu comme un géant : je contrôle les volumes, j’ajoute, je réduis, je suis au plus proche de mes créations. J’ai besoin de me confronter à la matière pour avoir la sensation du volume. Lors de cette création de maquette, Nathanaël Le Berre gratte, râpe, fait tourner la pièce sur elle-même, accentue un bombé, diminue un angle… « Lors de ce processus préparatoire, je peux laisser libre cours à mon imagination. Je crée des formes, les assemble, les sépare, reviens sur l’une d’elles, me perds volontairement, parfois jusqu’à l’exaspération. Puis vient la forme, qui s’impose comme l’œuvre en devenir ».

 

La technique contre l’imagination

 

La dinanderie demande de nombreuses années de pratique pour maîtriser tous les arcanes de ce métier ancestral. Il faut savoir apprécier à l’œil la distorsion du métal, sa tension, la formation des vagues que crée le martelage. Il faut anticiper la forme future en tenant compte des directions que prend le matériau et appréhender ses intentions, coup après coup, pour pouvoir rectifier et en garder la maîtrise tout au long du processus. Au long des années de pratique, Nathanaël Le Berre a gagné une maîtrise des techniques qu’il a su mettre à distance pour que celles-ci ne prennent pas le pas dans la réalisation. « La technique s’acquiert mais elle est très présente dans le processus de création, explique-t-il. Il faut parvenir à s’en libérer pour revenir aux sources de la création originale ».

Cette maîtrise de la technique n’a pas toujours été. Avant de trouver son chemin, le créateur a du l’apprivoiser. « J’ai boudé la technique au départ, peut-être par complexe vis-à-vis de l’art contemporain, de la liberté qu’il autorise, explique-t-il. Je m’en suis tenu à distance avant de comprendre que seule sa maîtrise me permettrait de m’en éloigner, de la digérer pour mieux l’utiliser. La technique dans la dinanderie est très rigoureuse, elle nous façonne de la même façon que les pièces que nous réalisons ».

L’évolution artistique

 

Les premières sculptures de Nathanaël Le Berre traduisent une recherche sur le volume, l’opposition entre l’éclat sombre de l’extérieur et la pureté de la couleur à l’intérieur. Des créations qui incitent le spectateur à plonger littéralement dans l’œuvre, tout en admirant la capacité d’un matériau à adopter courbes et volutes pour créer circonvolutions et entrelacs, à laisser ouvertures et vides.

Suivra un travail mené sur le décor et une vaste palette de finitions, qui permettra à Nathanaël Le Berre d’explorer un nouveau vocabulaire. « Ce travail de patines, d’aplats de teintes, de reflets, est très important et délicat, d’autant que plus on approche de la fin, plus on est en tension, explique-t-il. Elle est une façon de reprendre la main sur la création, de lui donner une autre direction ».

De l’austérité assumée du départ, Nathanaël Le Berre a évolué et sa réflexion s’est affinée au fil des années pour aller vers des productions plus expressives, des créations plus fonctionnelles. « Le travail de commande mené pour Christian Liaigre, mes liens étroits avec les galeristes, mon évolution personnelle nourrie de diverses sources d’inspiration me poussent à revisiter mon approche. J’appréhende aujourd’hui mon travail sous un angle différent, qui mêle formes et fonctions, comme les consoles, les luminaires qui m’incitent également à aller vers plus de décor. Je cherche à sortir de ces formes facilement envisageables ». S’il reconnaît une proximité avec le courant du Functional Art à travers ses œuvres les plus récentes, le créateur n’en rejette pas pour autant les sculptures, qu’il entend poursuivre. Son ambition reste identique : émouvoir par l’objet, et faire que l’on ressente dans le métal l’émotion qu’il y a placée.

Texte : Olivier Waché