« C’est en travaillant le matériau, en s’y confrontant quotidiennement qu’on se façonne soi-même ».
Nathanaël Le Berre
Il n’y a pas de hasard…
Il aurait pu être dessinateur, travailler le cuir ou la céramique. Mais c’est le métal que Nathanaël Le Berre a choisi pour exprimer son univers et sa pensée, et grâce auquel il donne naissance à des formes aussi originales qu’exigeantes. Si la rencontre avec ce matériau est presque le fait du hasard, l’envie de créer, elle, est inscrite depuis l’enfance. Dans la maison de famille d’un petit village de Bourgogne, l’aîné d’une famille de quatre enfants est dès sa naissance en 1976 plongé dans le monde de l’art. Avec son grand-père, architecte des monuments historiques d’origine hollandaise, il approche l’art sacré des icônes et les mystères de la calligraphie. L’homme est charismatique, mystique. Dans le petit atelier où il aime à se faufiler, il observe également son père, médecin homéopathe, s’adonner à la reliure et à la lutherie, et s’imprègne de la dextérité et de la méticulosité nécessaires pour ce travail manuel. Sa mère, quant à elle, apprécie les arts et le dessin en particulier, et forme son goût. Dans cet environnement familial, Nathanaël a tout loisir de développer un imaginaire, où se mêlent le religieux et le sacré, où l’on donne forme à l’invisible, parfois même au surnaturel.
Croiser la matière
À 18 ans, le jeune homme choisit les Beaux-Arts de Dijon, où enseigne la plasticienne Orlan. Histoire de l’art, art contemporain… L’enseignement trop académique et conceptuel ne convient pas à celui qui veut travailler la matière, s’y frotter, s’y confronter. C’est à l’ENSAAMA/Olivier De Serres qu’il trouve sa place pour y préparer un diplôme des métiers d’art. Entre mosaïque et vitrail, les deux disciplines qui lui sont proposées, il choisit cette dernière option. Ce clin d’œil à un environnement où la religion était présente pourrait faire mouche, mais c’est justement là qu’il réalise son besoin de s’émanciper de cet environnement. Nathanaël aime dessiner, mais ne voue pas une passion à la couleur. Il lui préfère le travail des proportions, des formes. En découvrant presque par hasard la dinanderie à Olivier de Serres, le déclic se fait. « L’idée de former une feuille de métal avec des marteaux, de développer de l’espace en volume me fascinait, dit-il. Il y a une intelligence dans cette discipline qui est assez peu exploitée. J’ai alors entrevu la possibilité d’exprimer une forme de pensée grâce à cette technique ancienne ». Nathanaël Le Berre rejoint donc la section DMA Métal et obtient son diplôme en 1999.
Rencontre avec la création
L’enseignement de la dinanderie permet à Nathanaël Le Berre de croiser la route d’enseignants qui lui font découvrir un univers de création parfois éloigné des productions classiques de ce métier d’art. Mais une rencontre en particulier sera décisive : celle avec Hervé Wahlen. Membre du jury lors du passage de diplôme de Nathanaël Le Berre, le sculpteur le repère et lui propose de travailler sur ses œuvres. En parallèle, le jeune diplômé est engagé par les Etains « La Licorne » où il fabrique des pièces d’orfèvrerie pour de grandes maisons, et par les Ateliers Bataillard comme dessinateur en ferronnerie d’art, où il étudie les styles, affine son goût, prend la mesure de la qualité des pièces, et découvre le monde des décorateurs et architectes d’intérieur comme Pierre Yovanovitch, Jean-Louis Deniot, Christian Liaigre, Alberto Pinto… Auprès d’Hervé Wahlen, Nathanaël Le Berre parfait son apprentissage. Il observe, participe à la création des pièces. Le sculpteur lui permet d’approcher un monde de création, lui qui n’ose pas encore se lancer dans sa propre voie. « J’étais alors trop emprisonné par la technique, que je n’osais pas lâcher pour aller vers des formes sculpturales, explique-t-il. Il me fallait créer ma propre grammaire, apprivoiser le matériau, apprendre à l’appréhender ».
Premiers pas
En 2004, Hervé Wahlen quitte son atelier de Montreuil et propose à Nathanaël Le Berre de le reprendre. L’occasion est importante pour le jeune créateur qui peut s’installer seul dans cette ancienne usine de fabrication de balances romaines et se confronter enfin à un travail personnel de création. Par l’intermédiaire du sculpteur, Nathanaël Le Berre acquiert également les outils ayant appartenu à René Gabriel Lacroix, comme un héritage du passé, un passage de relais et un heureux présage. « Cette solitude m’a été bénéfique pour intérioriser le travail et réussir à le faire sortir de moi », dit-il. C’est seul en effet qu’il travaille ses feuilles d’acier, un matériau plus abordables que le cuivre et qui révèle le martelage. Dès 2005, les premières sculptures trouvent un écrin de choix dans la galerie Triode, rue Jacob à Paris.
En 2008, alors qu’il a cessé de travailler pour les ateliers Bataillard afin de se concentrer sur ses créations, Nathanaël Le Berre s’installe à Janville-sur-Juine pour deux ans, non loin d’Etampes, cette fois dans une ancienne scierie. Les conditions sont difficiles, mais cet isolement forcé incite le créateur à aller puiser en lui de nouvelles ressources créatives. Cette ambiance quasi monacale se révèle propice à lui inspirer ses sculptures. « J’ai enfin réussi à lâcher prise sur la réalisation, à accepter cette part de néant dont je me suis emparé pour créer », raconte-t-il. Il découvre également la conception en 3D, qui lui permet d’imaginer des formes nouvelles. Suivra en 2010 l’installation définitive à Aubervilliers, dans l’atelier qu’il occupe aujourd’hui.
Collaborations et reconnaissance
En 2009, Christian Liaigre propose à Nathanaël Le Berre de présenter deux pièces dans sa galerie, Torse Orange et Torsion, puis lui confie la réalisation de commandes spéciales : suspensions, liseuses… Cette activité permet au créateur d’entrer dans le cercle fermé des décorateurs d’intérieur haut de gamme et l’encourage à explorer d’autres voies dans sa recherche personnelle. La grammaire de formes se développe peu à peu, la confiance en soi grandit. En 2011, Nathanaël Le Berre rencontre le galeriste Patrick Fourtin, qui expose ses œuvres comme « Couleur carbone », « Eye Eve » ou « Mallorca ». Suivra la rencontre avec Michèle Hayem, galeriste parisienne qui encourage le créateur à aller vers des pièces plus volumineuses et fonctionnelles. Nathanaël Le Berre crée à sa demande la console « La Vague d’encre » en 2015, qui sera suivie d’autres pièces.
Souhaitant confronter son art à un public professionnel, Nathanaël Le Berre présente deux années de suite, le concours des Grands Prix de la création de la Ville de Paris. En parallèle, après deux essais, il remporte en 2014 le prestigieux Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main, catégorie « Talent d’exception » avec la sculpture « L’Infini ». Au-delà de la reconnaissance de sa parfaite maîtrise des techniques traditionnelles appliquée à une forme libre, cette récompense couronne son travail entre sculpture et art fonctionnel, qui pose un regard à la fois poétique et bienveillant sur le monde qui nous entoure.
Texte : Olivier Waché