« Je suis comme un sportif de haut niveau, en permanence sur un fil émotionnel et technique, et un artisan au service de l’artiste »

Nathanaël Le Berre

Votre travail est celui d’un solitaire, mais a-t-il été influencé par des rencontres ou d’autres artistes ?

Les rencontres sont importantes non seulement pour nourrir mon imaginaire mais aussi pour acquérir une distance nécessaire par rapport à mon propre travail, à son évolution. Ma formation et mes recherches personnelles m’ont amené à m’intéresser et à apprécier d’autres d’artistes ou designers comme Goudji, Tony Cragg, Simon Hantaï, Bernard Frize, André Dubreuil, Eric Schmitt… Je pourrais aussi convoquer les icônes d’Andreï Roublev de mon enfance. Bien sûr, mes professeurs de l’ENSAAMA comme Michel Raffestin, Fred Barnley, Jean-Jacques Victor, Hervé Wahlen bien sûr, rencontré lors de mon passage de diplôme, ont aussi forgé mon ambition. Plus tard, d’autres rencontres comme Christian Liaigre, Patrick Fourtin ou Michèle Hayem ont elles aussi été porteuses de changements et d’évolution de mon travail.

Artiste, artisan, designer, sculpteur, dinandier ? Comment vous définir ?

Je me qualifie d’artiste qui utilise une technique issue du monde artisanal, en ce sens que j’utilise mes connaissances de la dinanderie, un métier devenu rare, pour mettre en œuvre des formes sorties de mon imagination et de l’observation de mon environnement. Je me définis comme sculpteur, même si mon travail s’oriente également vers des créations plus fonctionnelles. Je ne suis pas designer, même si certaines pièces allient la forme à la fonction. Mon but est de créer une œuvre artistique qui soit le reflet de ma sensibilité.

Quelle importance revêt pour vous votre travail aux côtés du sculpteur Hervé Wahlen ?

Sans l’apprentissage auprès d’Hervé Wahlen, je n’aurais sans doute pas compris la tension des volumes, le travail des courbes, du planage… Tous ces tours de mains qui, je le reconnais, m’agaçaient au début, j’ai fini par les intégrer grâce à lui. Hervé m’a appris cette rigueur nécessaire dans notre travail. Je suis comme un sportif de haut niveau, en permanence sur un fil émotionnel et technique. C’est une personnalité très forte, et il a fallu que je parvienne à m’émanciper. Son ambition n’était pas d’aller vers une transmission. Je travaillais avec lui, sur ses pièces. En ayant digéré son travail, sa technique, j’ai pu me libérer et aller vers mes propres créations, puis vers des œuvres de plus grande dimension.

 

L’acier du début, puis le cuivre que vous travaillez aujourd’hui sont-ils une contrainte ou une aide ?

Depuis ma rencontre avec le métal, j’ai toujours été fasciné par la capacité à transformer une feuille en des formes complexes par le simple fait de la marteler, de la chauffer. J’apprécie cette notion de vide qu’autorisent les ouvertures, cette capacité à entrer dans l’œuvre, c’est pourquoi je n’ai jamais cherché à me limiter à des volumes fermés, mais au contraire à les ouvrir. Il y a une proximité entre le corps et la forme que l’on crée. Travailler le métal en feuille permet de tout envisager, mais c’est aussi techniquement difficile, car ce matériau est un extraordinaire buvard à émotions, qui réagit à la moindre action. C’est un travail en tension permanente, qui demande un engagement total, à la fois physique, émotionnel et intellectuel, mais qui mène aussi à la sérendipité, à explorer des territoires que l’on n’envisageait pas au départ…

Comment expliqueriez-vous votre travail, son évolution ?

C’est une œuvre solitaire mais tournée vers les autres, pour les autres. J’aime l’idée de pouvoir émouvoir les gens avec mes créations, qu’ils s’approprient mes formes. Ce sont elles qui nous relient, comme quelque chose de personnel, qui peut être ressenti par chacun d’entre nous. Petit à petit, j’ouvre le champ d’application vers des objets plus fonctionnels. Je me suis beaucoup confronté à la matière au départ. Il fallait produire, développer un style et être « puriste ». Ma grammaire formelle s’est étoffée, a évolué, et je m’engage aujourd’hui dans la création de pièces plus imposantes, qui font naitre des difficultés techniques nouvelles, mais qui me font grandir. La recherche que je mène sur les finitions a elle aussi évolué. Plus jeune, je pensais pouvoir y échapper, mais j’ai fini par comprendre combien cet aspect de mon travail est capital. Cela, je l’ai aussi compris grâce au travail avec Christian Liaigre, pour qui ces finitions relient le travail accompli à celui qui reçoit l’objet.

Quel rapport entretenez vous avec vos œuvres achevées ?

Je n’ai pas de lien avec une pièce. Une fois terminée, elle ne m’appartient plus, elle est destinée à une galerie, à un acheteur. Si je la conserve, c’est qu’il y a du travail à réaliser dessus. Même la collection que j’envisage actuellement ne sera pas conservée à l’atelier. Elle est vouée à rejoindre des galeries.

Pourquoi avoir participé au Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main ?

À un moment de ma carrière, j’ai senti qu’il fallait que je confronte mon travail à d’autres regards. J’avais envie de passer devant un jury de professionnels. J’ai donc postulé une première année avec Eye Eve, puis une seconde avec Mallorca, mais ça ne fonctionnait pas. J’ai fini par comprendre que je devais aller plus loin dans mes créations, que je trouve des solutions pour magnifier davantage mon geste de martelage, sa perception dans l’œuvre terminée. J’avais réalisé une série de sculptures sur le principe du fruit coupé, et notamment une sculpture composée autour du signe de l’infini. Je suis reparti de cette pièce pour la présenter dans une version encore plus poussée techniquement, avec un polissage très élaboré de tout son volume intérieur. Ce travail a donné naissance à L’Infini, qui reprend les principes classiques de composition de formes en dinanderie, à savoir les formes de révolution. C’est cette œuvre qui m’a permis de remporter le prix en 2014, dans la catégorie « Talent d’exception ».

Que vous a apporté ce Prix ?

La reconnaissance de mon travail bien sûr. C’était pour le jeune homme venu étudier à Paris une sorte de récompense, presque une revanche après des années dans l’ombre, à travailler seul et durement. Le Prix est aussi une façon de valoriser un métier qui n’existe plus vraiment, de le mettre sur le devant de la scène.

Au delà, j’ai été le premier à bénéficier d’un accompagnement sur trois ans offert par la Fondation Bettencourt Schueller, ce qui m’offre une sécurité et me permet de développer des projets. Lorsqu’on débute, on se donne beaucoup avec peu de moyens, et financièrement on ne peut se projeter qu’à court terme. Avec le soutien de la Fondation, je peux me libérer de cet aspect et me concentrer sur la création. Cette reconnaissance m’apporte également la possibilité d’envisager une collection totalement libre, sans que celle-ci soit une réponse à des commandes. Le Prix est important car il me permet de libérer ma créativité, de créer une dynamique.

Propos recueillis par Olivier Waché